Biniou – bombarde

Une tradition qui remonte au XIXième siècle.

La tradition du couple biniou-bombarde a bien été repérée en pays Fisel dès la fin du XIXième siècle. Parmi les sonneurs à demeure et que la mémoire collective nous a permis de repérer, nous pouvons citer Gov ar C’hoad (Jean Le Goff, et qui avait appris à sonner pendant la guerre de 14) et Berr Koz (Jean-Marie Le Berre) de Glomel, François Faucheur de St-Michel en Glomel, (?) Quemener, originaire de Ploërdut et qui était commis de ferme chez les parents de Manuel Kerjean à Bonen, François Le Gouar de Pitié en Bonen également, et Job ar C’houtouilh (Joseph Coton ?) de Kerdourc‘h en Kergrist Moëlou. On peut également citer Mataw et Job Le Gall de Gouarec/Plélauff/Lescouët-Gouarec qui sonnaient aussi en pays Fisel.

Le déclin de la tradition ancienne du couple biniou-bombarde

Le déclin de la tradition ancienne du couple biniou-bombarde fut particulièrement perceptible entre les deux guerres : les derniers sonneurs qui animaient les noces étaient nés avant 1900, et n’eurent pas de successeurs. Après 1935, le couple biniou-bombarde avait disparu. Avait-il eu un répertoire spécifique ? Ou était-il le prolongement naturel de la pratique des sonneurs de terroirs voisins : Poher, pays Pourlet ?

Une nouvelle tradition.

Après la guerre, et sous l’impulsion de Polig Montjarret, naquit la Kevrenn Rostren, bagad du pays de Rostrenen, et qui accompagna le tout nouveau cercle celtique de Rostrenen. Plusieurs de ses membres firent une carrière de sonneur de couple biniou braz-bombarde. Citons Job Noël, Lily Dupuis, Efflam Cuven, Yves Le Digabell, … Puis se (re)forma le couple biniou kozh – bombarde dans les années 60. Cette nouvelle tradition se développa principalement à partir du répertoire des chanteurs. Parmi les sonneurs qui ont marqué leur époque, on peut citer Martial Pezennec, Yann Peron, Jef Philippe, Jacquy Le Hetet,… Le pays Fisel a, par la suite, inspiré quelques couples de sonneurs attitrés. Pour leur part, de nombreux jeunes sonneurs ont pratiqué la bombarde dans le jeu en répons (à deux bombardes), imitant ainsi la pratique du kan ha diskan. Cette nouvelle pratique a trouvé sa place dans les groupes de fest-noz des années 80 spécialistes du Fisel: Kanfarted Rostren, Sonerien ar Faodel,….

De leur côté, et pour résister à la concurrence de ces nouveaux sonneurs issus du milieu folklorique, les musiciens populaires qui animaient bals et noces troquèrent dans les années 60 leurs clarinettes contre les nouveaux instruments : bombarde et cornemuse écossaise.

La clarinette


Une tradition de Haute-Cornouaille.

Comme dans les autres terroirs de Haute-Cornouaille, la clarinette et apparue comme instrument majeur dès la fin du XIXième siècle. Elle trouve une vogue remarquable entre les deux guerres, à l’époque où la génération des sonneurs de biniou – bombarde ne se renouvelle plus et disparait : elle est l’instrument indispensable des noces. Ainsi plusieurs dizaines de sonneurs de clarinette ont animé le pays Fisel, avec des profils très différents: du sonneur amateur qui agrémente la vie de son entourage pendant les quelques années de sa jeunesse au véritable professionnel (même si aucun n’a vécu exclusivement de son art) qui sonne plusieurs dizaines de noces chaque année pendant plusieurs décennies.

La tradition du pays Fisel s’inscrit directement dans le prolongement de celle du pays Fañch, avec lequel elle partage une grande partie de son répertoire. En pays Fisel, les sonneurs jouent seuls, ou plus souvent à deux. On n’a pas connu d’accompagnement de tambour.

Parfois surnommée treujenn-gaol (treujenn-gaol / an dreujenn-gaol : le trognon de chou), elle partage les caractéristiques du jeu centre breton :

– jeu en réponse avec tuilage en imitation des chanteurs de kan ha diskan

– utilisation du registre aigu dans les prestations, et grave pour les entraînements

– permanence de l’utilisation des clarinettes anciennes à 13 clés qui permettent de pratiquer une échelle à tempérament inégal

– utilisation d’ornementations, parfois sophistiquées : coups de langue ou coups de doigts qui imitent certains savoir-faire des chanteurs.

Le répertoire de la treujenn-gaol

Les airs de marche.

Ces airs de marche, airs de défilé, tonioù hent (les airs de route) sont interprétés pour les déplacements de la noce à pied ou en char à banc. Chaque air avait son rôle précis dans le déroulement de la noce et se devait d’être interprété au moment voulu : air pour aller chercher la mariée, pour aller à l’église,… Etonnement, la plupart sont issus d’un fonds d’airs populaires de France folklorisés qui, livrés à l’inspiration et à la fantaisie de la tradition orale pratiquée par plusieurs générations de sonneurs, se sont peu à peu transformés pour devenir de « vrais airs bretons ». La perspicacité du public permet ainsi de reconnaître Malbrought s’en va-t-en guerre, Bon voyage Monsieur Dumollet, J’ai du bon tabac, la Bourgogne, Auprès de ma blonde….

Les airs de circonstance.

Quelques airs de circonstance ponctuaient la noce. Citons« Boked eured » pour le départ de la mariée (appelé « air pour faire pleurer la mariée» par les folkloristes) alors que les pays fañch lui préférait son « ton kenavo ». Soubenn laezh qui signait la fin de la journée des noces.

La danse.

Les airs de danse.Les airs de danse viennent en grande partie du kan ha diskan. L’usage récurrent d’un certain nombre d’airs en a fait « le répertoire de treujenn-gaol ». On peut ainsi repérer une dizaine d’airs de danse Fisel, quelques Fañch, 2 bals Fisel, 2 bals fañch et quelques airs de danse en couple : polka mazurka scottische. Les « tonioù fisel » utilisent tous le mode de ré : les modes de do ou plagal, présents en kan ha diskan ou accordéon, n’étaient pas pratiqués par les sonneurs de clarinette.

Pas d’enchaînement. Généralement, chaque air est interprété indépendamment des autres : la pratique d’enchaînements de plusieurs airs est une pratique tout à fait récente (fin du XXième siècle). Vous entendrez cependant des enchaînements sur ces CD : ils ont été réalisés en studio pour en densifier les contenus mais ne constituent pas la pratique des enregistrements d’origine.

Une suite particulière.

Si on considère que la pratique du répertoire par des suites est la règle, les sonneurs de clarinettes prennent de grandes libertés dans leur prestation. Il n’est pas rare d’entendre une suite composée comme suit : fisel (ton hir), bal fisel, fañch, polka, fisel (ton berr).

Avec le renouveau de la pratique de la clarinette autour de l’association Paotred An Dreujenn-Gaol, le répertoire des sonneurs s’est peu à peu élargi: adoption d’airs ayant les mêmes caractéristiques que le répertoire ancien, adaptation du répertoire d’accordéon, compositions. rnementé qui reproduit les coups de langue des chanteurs.

L’accordéon diatonique

L’accordéon diatonique, une pratique intime peu connue.

La pratique de l’accordéon dans le répertoire traditionnel était à la fois populaire et secondaire.

En plus des 3 interprètes choisis (Adrien Thomas, Armand Biziou et Emile Puil au chromatique), plusieurs artistes présents sur cet album pour la clarinette ou le kan ha diskan jouent aussi du diatonique, et auraient mérité également de figurer avec cet instrument : Iwan Le Guilcher, Jean-Louis Le Boulc’h, Yves Calvez, Louis-Marie Caro, Hyacinthe Guégan, Iwan Thomas,…

L’accordéon diatonique trouvait  sa place principalement dans les fêtes des villages, à la fin des journées de travaux agricoles. Cette pratique familiale ou dans l’intimité du village a rarement été mise en avant. Les accordéonistes ont parfois eu le statut de sonneur de noces, dans des contextes particuliers : petites noces, évènements à l’intérieur de la famille.

Le répertoire.

Parmi le répertoire traditionnel pratiqué, on peut discerner plusieurs origines :

 – des airs empruntés aux chanteurs de kan ha diskan

– des airs de treujenn-gaol (notamment par Adrien Thomas qui avait une grande admiration pour la clarinette)
– des airs que l’on peut appeler « Fisel diato ». Airs qui développent des structures mélodiques simples, répétitive, joués dans des styles énergiques. Ils sont tous en mode majeur. Efficaces pour la danse, ils sont interprétés quasi exclusivement par les accordéons. On peut imaginer qu’ils sont nés de l’inspiration des accordéonistes eux-mêmes, et qui auraient créés un nouveau répertoire qui « tombait naturellement bien sous les doigts ».

Si le jeu mélodique sait être puissant et précis, le jeu de l’accompagnement à la main droite est souvent essentiellement rythmiques, parfois aléatoire : on est bien loin du jeu règlé de la pratique actuelle.

Les autres répertoires de l’accordéon diatonique, les orchestres. .

Ouverts à toutes sortes de musiques et à la modernité, les accordéonistes jouent aussi  avec la même passion le nouveau répertorie de leur époque : valse, tango, java,…  C’est d’ailleurs l’accordéon diatonique que les sonneurs de clarinette ont également adopté pour diversifier leurs prestations et capter l’attention de la jeunesse, le couple de sonneurs de treujenn-gaol devenant pour l’occasion un nouveau duo diatonique-batterie.

Après la guerre 39/45, ces mêmes sonneurs de clarinette choisiront l’accordéon chromatique et la batterie pour animer le bal de noce le soir : clarinette en journée, bal le soir. A l’image de l’orchestre JOFERO, le groupe continuera à évoluer avec la venue d’autres instrumentistes: saxophone, trompette, banjo,…

Dominique JOUVE

26/11/2019

Article destiné au livret du CD DASTUM – Pays Fisel